Depuis 2006, Dominique Houcmant prend de façon quasi quotidienne des photographies de son balcon. Un même cliché, une même perspective, un même paysage. Le canal de l’Ourthe à l’avant plan et ses quelques péniches résidentielles, les saules pleureurs qui les abritent, les cheminées jumelles d’une centrale électrique. Un paysage mi bucolique, mi industriel, entre guinguettes du bord de Marne et Battersea Power Station londonienne. Au loin, par beau temps, on distingue la colline de Cointe, la tour du Mémorial de la Grande Guerre et la Basilique qui coiffe la colline. Je ne vous l’avais pas dit ? Oui, Dominique Houcmant vit à Angleur, en région liégeoise. Ce paysage familier, il me l’envoie ; enfin, il ne l’envoie pas qu’à moi. C’est singulièrement parce qu’il poste ses photographies du balcon sur les réseaux sociaux que ce paysage m’est devenu coutumier. Un cliché, une date, une heure : les réseaux sociaux sont devenus les minuteurs de notre vie contemporaine. Et incidemment la boîte aux lettres d’un mail art d’aujourd’hui. En fait, ces photographies, on pourrait les appeler Dates Photographes ou plutôt Today Series. Oui, mais voilà ces titres appartiennent à On Kawara qui s’obstina quotidiennement à peindre la date du jour, en s’appliquant à ne varier que le format et la couleur de ses toiles monochromes. L’artiste japonais révèle ainsi une temporalité abstraite et non historique. Dominique Houcmant, lui, s’obstine à révéler une temporalité atmosphérique, et s’accoude, au balcon, dans sa propre histoire, qu’il partage, hic et nunc, face à ce paysage toujours le même, toujours différent, jour après jour. Les cheminées de la centrale électrique, soleil couchant, soleil levant, qu’il vente, qu’il neige, que le temps soit maussade ou ensoleillé, que le ciel soit lumineux ou chargé de nuages, qu’il soit de brumes ou de brouillard, sont comme sa cathédrale de Rouen. Dominique Houcmant s’installe au balcon comme Claude Monet campait chez Louvet ou chez Levy, attentif aux variations de la lumière en fonction des heures de la journée. Ces envois sont mon bulletin météo, car oui, je ne vous l’avais pas dit, j’habite la même région. Ils sont surtout un point de vue sur un paysage qui m’est devenu familier, que je me suis approprié.
Le mail art, l’art postal si vous préférez, a toujours tissé du lien. Et je me dis que, jour après jour, nous devons être bon nombre à camper sur le balcon d’Angleur. Tiens ! Goldo est rentré.
Le baroudeur des plateaux prend une pause face à mon paysage. On le connaît comme photographe mondain. N’y voyez aucun sens péjoratif. J’utilise le terme de mondain, car Dominique Houcmant travaille essentiellement dans le monde. S’il n’est pas aux pieds des plateaux dans l’un ou l’autre festival, s’il ne campe pas sur un tournage de film, il est de tous les rassemblements et de toutes les fêtes, sans cesse en recherche non pas d’images, mais de visages. J’ai toujours été saisi par la qualité de ses portraits, cette distance familière qu’il impose à l’objectif face au modèle, ces moments où il capte ce je ne sais quoi de supplément d’âme et d’intériorité. Et je décèle le même souci dans cette autre série de photographies qu’il expose aujourd’hui, des traces du passé industriel de la région dans laquelle il vit. Pas question de dresser un inventaire des friches, pas d’envolées lyriques face à l’archéologie d’un paysage. Ce qui est spectaculaire est dans le détail. Dominique Houcmant est un photographe du sensible. Il exploite le détail même des objets et des lieux, des détails qui nous permettent de prêter attention à la dimension esthétique inaperçue de la matière même. Le traitement de la lumière, la maîtrise du jeu des textures, jamais univoques, brouillent ainsi nos perceptions ordinaires. Dominique Houcmant ne photographie pas le sensible ; il s’y rend disponible, lui donnant résonnance.
Jean Michel Botquin