Description
2020-2021
252 x 252 x 25 cm
Métal, jesmonite, fibre de verre, pigments, yeux de verre
Achat Space Liège
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La critique des codes sociaux en général et des codes artistiques en particulier est au cœur du travail d’Aline Bouvy. On peut apprécier cette poétique transgressive, brise tabous, dans la pièce de la Space Collection. Il s’agit d’une variation au « frises » que Bouvy avait montré à la New Space de Liège en 2020. A cette occasion elle s’avait inspiré des alto-reliefs qui décorent la façade de l’athénée Léonie de Waha réalisés en les années 1930. Elle a aussi pensé au fait que la New Space abritait le garage de la police judiciaire de Liège. Les jeunes filles nues couvertes de quelques petits voiles ornant l’énorme façade de la toute première école pour filles de Belgique, avec corps exagérément sexués, on inspiré la manière dont Aline Bouvy comme elle pouvais appréhender les figures policières. En les présentant dénudés, avec une esthétique queer, et en gardant le képi et les accessoires de l’uniforme de policier, elle arriva à destituer les personnages de leur fonction et les déposséder de leur pouvoir, leur autorité, nous faire confronter la violence qu’impose la pensée normative et punitive.
« La New Space abritait le garage de la police judiciaire de Liège. Il était évident pour moi qu’il fallait que j’intègre cet élément dans l’exposition que j’allais faire à Alain De Clerck. Je voulais travailler sur la notion du « corps » de police, évoquer le passé du lieu et surtout faire écho à la situation actuelle. J’ai longtemps réfléchi à comment ne pas tomber dans un discours moralisateur ou une dénonciation simpliste et éviter tout propos illustratif faussement politique ou engagé.
C’est après une visite des lieux que j’ai découvert, sur le chemin vers la gare, un bâtiment des années 1930 que je n’avais jamais remarqué avant : l’Athénée Léonie de Waha. J’ai immédiatement été interpellée par la frise de hauts-reliefs présentant de jeunes filles nues couvertes de quelques petits voiles ornant l’énorme façade aveugle de la toute première école pour filles de Belgique. En scrutant la manière dont les corps des prétendues étudiantes de l’école avaient été exagérément sexués, au point que ça en devenait ridicule, la manière dont je pouvais appréhender les figures policières m’est progressivement apparue. En les présentant dénudées, mais en gardant le képi et les accessoires de l’uniforme, je pouvais en quelque sorte les mettre en incapacité de travail et les destituer de leur fonction. Il fallait vider ce corps policier de toute hiérarchie, autorité, le déposséder de son pouvoir d’hommes blancs agissant en groupe.
La panoplie d’accessoires ornant les corps évoquerait plutôt celle de certaines pratiques sexuelles. Les poses seraient exagérément lascives ou présenteraient des saynètes infantilisantes, un peu comme dans le théâtre de Guignol.
… Pour le travail du modèle des corps en argile, je me suis inspiré des dessins d’autres artistes, comme Pierre Klossowski, Tom of Finland, Jean Cocteau ou Le Bernin. En suite j’ai ajusté ici et là, gonflé les tétons, remplacé le ventre par un urinoir. Certaines figures proviennent du panorama dessiné par Elisàr von Kupffer qui trônait dans la rotonde de sa maison-temple dans le Tessin à côté du Monte Verità. Ces dessins en particulier m’on permis de rendre ces corps queer, de les confronter à la violence qu’impose la pensée normative et punitive. J’ai réalisé plusieurs tirages en jesmonite blanche et j’ai incrusté des yeux de verre dans les cavités oculaires. A partir de ce moment, ces reliefs me sont apparus comme des poupées ou de petits soldats de plomb agrandis. Accroché à des grilles en métal aux mêmes proportions que le haut-rélieff de l’Athénée de Waha, l’ensemble faisait également écho à ces petites figurines qu’on utilise dans les maquettes d’architecture et que s’achètent attachés ensemble à un cadre. Les grilles arrivaient à une vingtaine de centimètres au-dessus de la tête des gents, ce qui divisait la hauteur de l’espace en deux nevaux, un peu comme les gens d’en haut et nous, les gens d’en bas.
Comme le suggère son titre Cruising Bye, l’exposition d’Aline Bouvy au MACS se présente comme une maraude, au sens où il y est autant question de vagabondage sexuel et de patrouille policière que de chiens errants et de batifolages queer. À l’horizon de cette dérive poétique et transgressive se dessine l’utopie d’une sexualité fluide que l’artiste plasticienne assimile moins au militantisme pragmatique LGBT qu’à la critique permanente des codes esthétiques et hygiéniques par lesquels la société surveille nos corps et enferme leurs désirs. Anticipant la fin des inhibitions mortifères, sa démarche artistique procède à une érotisation décomplexée de notre milieu en y intégrant matériaux dépréciés, postures décadentes, territoires désaffectés et organes disqualifiés. Sa palette pluridisciplinaire, où alternent Plexiglas thermoformés, linoléums marquetés ou véhicules téléguidés, surprend le public par son atteinte au bon goût et sa désinvolture face aux tabous. Par ses références au Clarisme, une mystique transgenre fondée dans les années 1920 par l’artiste allemand Elisarion, Aline Bouvy revisite également la lente trajectoire utopique d’une culture en train de se détourner des modèles dominants du patriarcat et de l’hétéronormativité. Dépassant les normes de la morale bourgeoise et les bornes du politiquement correct, ses œuvres leur adressent même au passage un bye bye insolent, signe d’une mutation irréversible de la société. Véritable ode à la liberté, l’exposition Cruising Bye d’Aline Bouvy prend ainsi l’allure poétique d’une « parade sauvage » où se mêlent aussi bien un défilé de policiers androgynes (au son des sirènes) qu’un shabbat de sorcières (sous belladone).
Denis Gielen
Le travail d’Aline Bouvy interroge la manière dont nous traitons la production culturelle contemporaine et critique sans complaisance les normes et les valeurs que la société de consommation nous impose. Elle interroge et dénonce la manière dont les images que nous avons de nous-mêmes et de l’humanité sont déterminées par la morale et se réclame d’« une approche totalement subjective qui implique des négociations affectives avec l’abus de pouvoir ».
Dans cette perspective, elle essaie, non pas de se mettre en marge de la société, mais de traiter de manière faussement nonchalante des aspects de notre société souvent dénigrés ou considérés comme tabous, sales, ou de mauvais goût et d’intégrer ces éléments dans son processus créatif afin de se libérer de toute catégorisation. Elle scanne le corps humain, ses déjections et ses endroits les plus pudiquement tus ou cachés.