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FAUX-SEMBLANTS
Avec la série des jumeaux, le photographe Pierre Houcmant (1953-2019) poursuit sa recherche sur l’identité et le double. « Ce qui le captive », avait remarqué Carmelo Virone à propos d’un travail précédent, « ce n’est pas tant l’identité de ses modèles que leur capacité à se démultiplier ». À cet effet, il use d’artifice de décor : miroirs, tableaux, objets de toutes sortes qui sont autant d’échos à la personnalité du sujet.
Ici cependant, l’artifice est d’une autre nature (enfin, si l’on peut dire !) : purement technique, photoshoppique. La technologie permet de dupliquer, copier-coller, manipuler à l’infini corps et visages, de cloner, d’hybrider et de créer des chimères.
Ainsi, Pierre Houcmant a-t-il créé à partir de portraits singuliers de personnes singulières des jumeaux virtuels. Dans un décor inexistant, sur un fond noir qui empêche tout repérage du lieu et du moment, ces jumeaux se donnent à voir ou plutôt s’abandonnent à la vue tant leur attitude est passive : jeunes femmes et enfants sérieux, parfois un peu tristes voire inexpressifs, bras ballants, poses dociles. Cherchez le punctum, le détail qui frappe ; au mieux le trouverez-vous dans une ceinture ou un motif de vêtement – au mieux, mais rien n’est moins sûr.
Tout semble tranquille : de même qu’il n’y a pas d’émoi, il n’y a pas d’histoire.
On pourrait presque dire : « Circulez, il n’y a rien à voir ».
Mais voici que s’insinue une inquiétante étrangeté : comme indifférents l’un à l’autre, les jumeaux de Pierre Houcmant se touchent sans se toucher, dans un frôlement virtuel qui n’autorise aucun affect par le contact, aucune expression de complicité ou de rivalité, pas même un soupçon, une totale indifférence, de l’autisme, et même rien du tout.
La réalité des sujets s’efface alors que naît un réel malaise.
Longtemps la photographie a autorisé une certitude : quelqu’un a existé en un lieu et un moment donné. « Toute photographie est un certificat de présence » écrit Roland Barthes. Le travail de Pierre Houcmant fait exploser cette certitude, déjà fissurée par les absences sus-citées : ni lieux, ni moments repérés, ni chair ni affect. Il reste des traces éclatées… Car un modèle a posé, singulier, identifiable et vivant.
Où est l’original ? Où est la copie ?
Partout et nulle part, puisque rien n’atteste l’authenticité du moindre détail.
Pierre Houcmant a brouillé avec soin les pistes : pas de reflet strict en miroir et surtout pas de symétrie car il sait sans doute que la symétrie est ennuyeuse, que c’est « une médiocre source de rêve ».
[…] Et si la photographie engendre une interrogation que nous avons sur l’image de nous-même, les modèles et nous, qui en regardons les étranges parcelles, n’avons pas fini de nous interroger…
Marie-Paule Henry